Il est classique de dire : « De nos jours on ne lit plus – les jeunes surtout -, à cause de la télévision ». Ou encore : « J’ai beaucoup à lire. Je n’ai pas le temps de suivre la télévision ».
De telles affirmations suggèrent une incompatibilité entre la littérature et la petite lucarne. Cette apparence d’exclusion mutuelle se fonde sur un caractère commun : la chronophagie.
En effet, la lecture – a fortiori l’écriture -, requièrent du temps. Également, par leur contenu volontairement alléchant, les programmes cathodiques semblent une bonne manière de « tuer le temps «. Et quel temps ! Beaucoup d’entre nous ont brûlé des heures – parfois des journées entières – sans s’en rendre compte devant la télévision ! Il en est ainsi car, celle-ci ne suggère qu’un effort passif : suivre ; tandis que la lecture et l’écriture obligent à plus, évidemment. D’où la préférence de l’écran, chez les partisans du moindre effort. Ajouté à cela l’addiction qu’il suscite chez certains téléspectateurs. A mesure qu’ils suivent des matches de sport, des telenovelas ou la téléréalité, naissent chez beaucoup une appétence aux mondanités, un désir de ressembler aux « stars «. Ce qui les accoutume à la télévision et les éloigne durablement de la lecture. Or, la pratique régulière de celle-ci s’accommode mal de longues heures consacrées à autre chose, en l’occurrence les images. D’où l’incompatibilité supposée entre la littérature et la télévision. Cependant, même factuel, ce constat n’est pas absolu à moins d’un rétrécissement du champ des possibles. Il faut, par conséquent, entrevoir une dialectique structurelle entre les livres et la télévision.
Aussi, d’une part, la littérature contribue potentiellement aux programmes cathodiques. Il n’est que d’évoquer les adaptions cinématographiques des œuvres littéraires. A ce sujet, le premier nom qui nous vient à l’esprit est celui du sénégalais Sembène Ousmane. A la fois écrivain et cinéaste, il aura exercé son art par la plume et la caméra. Témoin l’adaptation, entre autres, de ses nouvelles « Blanche-Genese «, « La noire de…» et « Niiwam «. Hier comme aujourd’hui, ses réalisations et d’autres plus contemporaines occupent une place de choix dans les programmes des chaines sénégalaises. De même, au Niger, notre Télé Sahel nous comble par moments de films comme « Sarraounia «, Toula «, « Lélé « ou encore « Si les Cavaliers avaient été là…», tous réalisés respectivement à partir des œuvres d’Abdoulaye Mamani, de Boubou Hama, d’Abdoua Kanta et d’André Salifou.Actuellement, l’ivoirienne Anzata Ouatarra fait le bonheur des téléspectateurs francophones. Grâce, en effet, à l’adaptation de son célébrissime « Les coups de la vie «, la chaîne A+ élargit son audience. Cette dualité artistique qui conduit les auteurs à rendre par les images le contenu de leurs ouvrages obéit à une volonté d’inclusion. Face à l’analphabétisme et/ou la faiblesse du pouvoir d’achat qui empêchent l’accès aux livres, la démocratie culturelle exige que nul ne soit en marge des productions intellectuelles. Écoutons Sembène Ousmane : « si je préfère la littérature personnellement, je tiens le cinéma pour plus important parce que ce moyen d’expression me permet de toucher plus directement […] le peuple ».
D’autre part, la télévision constitue un puissant levier de promotion littéraire. Grâce aux émissions culturelles, aux documentaires relatifs à la vie des hommes de Lettres ou même aux débats télévisuels, régulièrement consacrés à la littérature, la télévision permet de diffuser largement et durablement les œuvres littéraires. Sous ce rapport, elle fonctionne comme une instance d’où sont évoqués, critiqués en tous cas diffusés – les livres. Le talent des animateurs et la curiosité du public aidant, le petit écran valorise les écrits et propulse les auteurs. Il s’agit au demeurant d’un moyen de promotion déjà éprouvé. C’est ainsi qu’en France, l’émission hebdomadaire « Apostrophe « diffusé pendant plus de quinze ans a permis d’intéresser beaucoup de français à la lecture. L’émission écrit F. Rouvillois « deviendra un mythe – et un rituel, immuable, pour des millions de téléspectateurs qui, le vendredi soir, s’installent confortablement devant leur poste […] Une dizaine d’écrivains sont assis en rond autour du maître [Bernard Pivot], qui conduit les débats [avec] ses invités. Au bout d’une heure et demie, « Apostrophe » s’achève […] et les téléspectateurs sont mûrs pour aller, dès lendemain, acheter les livres dont on vient de parler dans des librairies […] ». Apostrophe fut, plus qu’une émission, un moment de l’histoire littéraire française. De même, aux ÉtatsUnis, l’Oprah’s Book Club – émission littéraire – favorise la diffusion et Le Canard Déchaîné N°891 du 02 Juin 2022 l’écoulement d’un grand nombres d’ouvrages depuis 1996.
Au Niger, malgré des débuts assez promoteurs, toutes les émissions littéraires ont fait long feu. Elles n’eurent ni le succès ni les effets d’Apostrophe ou d’Oprah’s Book Club. Récemment, le groupe de presse Labari a lancé « Le Grenier des Savoirs «, une tribune permettant aux enseignants-chercheurs de livrer la quintessence de leurs travaux. Séduisant et opportun, le concept fait timidement son chemin. Encore qu’il reste insuffisamment connu. Résultat des courses, aucune chaine de télévision nigérienne ne peut revendiquer une contribution substantielle et durable à la promotion de nos Lettres. Il nous faut y remédier. Pour ce faire, il serait utile d’instituer une nouvelle émission mais autrement pensée. Nous voudrions, à ce sujet, en indiquer quelques conditions d’efficacité et de pérennité.
Primo, cette émission devra être confié à un animateur (ou une animatrice !) témoignant un grand intérêt pour la littérature. Ensuite, outre les invités naturels (écrivains, libraires, éditeurs, enseignants de français etc.) il lui faudra convier – surtout à ses débuts – des personnalités publiques pour aborder leurs rapports aux livres. L’objectif étant de drainer un grand nombre de téléspectateurs qui, au terme de l’émission, deviendraient autant de lecteurs. L’actuel Chef de l’État ferait un bon client de lancement. Lui qui affirme devoir sa conscience et son engagement politiques à ses lectures. Il n’est pas improbable, en effet, que le témoignage des personnalités convainquent les jeunes, en particulier, de la nécessité de lire. Enfin, et très important, l’émission devra être diffusée à des heures de grande audience ; idéalement juste après le Journal du soir. De préférence les week-ends, en sorte que les familles – grandement réunies – soient au rendezvous. Marchera ? Marchera pas ? Seule l’expérience permettra d’en juger…
Au bout du compte, nonobstant un semblant d’incompatibilité, la littérature et la télévision peuvent entretenir des rapports de complémentarité. Encore faut-il que les acteurs culturels aient le sens des opportunités !
Abdoul-Malik ISSOUFA