Ils sont tailleurs ambulants, bouchers, cireurs de chaussures, coupeurs d’ongles etc. Exerçant au Burkina Faso, ils sont tous nigériens. Eux, ce sont les exodants. Le Canard déchaîné vous propose une plongée dans l’univers de l’exode rural de nos compatriotes dans le pays de Thomas Sankara.
Pourquoi choisissent-ils le Burkina Faso, plutôt qu’un autre pays ? Comment s’y intègrent-ils ? A quelles difficultés sont-ils confrontés ?
Vendredi 20 mai 2022. 20h30. La ville de Ouagadougou est particulièrement animée, bruyante. La circulation routière ajoute son bruit à celui des discothèques et autres maquis. Nous nous arrêtons non loin du SIAO (Salon International de l’Artisanat de Ouagadougou) chez un boucher. Il s’appelle Harouna. De nationalité nigérianne, il est secondé par un jeune, un parent probablement. Il nous accueille, chaleureux et sympathique. Sur les bancs réservés aux clients, deux jeunes discutent en Haoussa. Nous les approchons, les saluons dans la même langue. Très vite, les présentations se font et la discussion s’enchaîne. L’un d’entre eux, Hamza – le moins timide apparemment – veut répondre à nos questions : « Nous sommes de Madaoua. Nous avons quitté le pays, depuis neuf mois environ. Je suis vendeur ambulant de bonnets et de chapelets. Mon frère, lui, vend du parfum et de l’encens. Ensemble, nous parcourons la ville de Ouagadougou au quotidien ». 2 Ils affirment que le voyage ne fut pas facile, en raison des rackets des policiers et accessoirement de l’état des routes. Puis, il ajoute « C’est vrai aussi que nous n’avions pas de cartes d’identité. C’est ce qui nous a motivé, dès la première semaine de notre arrivée, à rechercher le Consulat du Niger au Burkina Faso. Nous nous y sommes rendus pour établir des pièces d’identité. A présent, on se sent un peu plus en sécurité. En plus, ça nous évite des ennuis avec la police burkinabé lors des contrôles nocturnes ». Contrairement au boucher nigérian qui nous accueille, nos deux frères ne maîtrisent aucune langue burkinabé. Ils comprennent à peine français. Mais, ils n’y voient aucun obstacle, au contraire : « Beaucoup de nos compatriotes ont appris le Moré (langue Mossi). Nous allons apprendre aussi. Progressivement, ça va aller », lâche Hamza avec sourire et optimisme. Pour l’heure, les pièces de monnaie leur servent à communiquer avec les clients. « Ce qui est parfois fastidieux ! », tranche l’autre, Manirou – jusque-là taiseux -. « Mais, poursuitil, les burkinabé sont très cordiaux et réglos ». Il en veut pour preuve, notamment, les salutations des passants qui les reconnaissent en notre présence : « Aboki ! C’est comment ? Et la soirée ? » Aboki ! C’est ainsi qu’on les appelle ici. « Avec d’autres compatriotes, poursuit Manirou, on se retrouve souvent ici (chez le boucher !). Il n’est certes pas nigérien. Mais, grâce à la langue commune – le Haoussa -, nous échangeons parfaitement. Du reste, nous en profitons pour faire la connaissance d’autres nigérians et nigériens. Ça créée une ambiance familiale, qui guérit du mal du pays ».
Samedi 21 mai. 15h45. Nous nous rendons à une agence Nita au quartier Kalgodin, toujours à Ouagadougou. Là, nous trouvons un tailleur ambulant, venu envoyer de l’argent à sa famille. Il s’appelle Ibrahim. « Moi, je viens de Konni. Je suis au Burkina Faso depuis cinq ans. Bien-sûr, je retourne au pays chaque année. D’ailleurs, j’y étais il y a sept mois. En général, j’y vais dans la saison des pluies, un peu par devoir. Si non, personnellement, je préfère rester ici et faire mes affaires. C’est plus lucratif ». Sans le dire, Ibrahim semble être plus à l’aise, voire plus libre ici qu’au Niger. Il ne nous dit pas pourquoi.
Cependant, déclare-t-il, « Nous vivons à quatre, en location, dans une maison de 12.500/mois. Quatre personnes, c’est assez raisonnable. Car, il n’est pas facile de vivre avec les gens fussent-ils des compatriotes ou des coreligionnaires. Trop de vols, trop d’aigreur, trop d’humeurs à gérer. Or, à quatre on s’en sort pas mal ». Ibrahim apprécie bien son commerce. Il ne fait aucun grief aux burkinabè. Au contraire, explique-t-il, « Moi, j’ai choisi le Burkina Faso parce que c’est moins violent. J’ai des camarades qui sont dans d’autres pays, mais ne m’en disent pas du bien. Ils y rencontrent la xénophobie, les tracas administratifs et autres actes de brigandage. Or, ici, jusqu’à ce jour je n’ai rencontré aucune difficulté de ce genre. Dieu merci…. L’unique difficulté tient au défaut de cartes d’identités pendant le voyage. Les agents des frontières nous briment et nous font payer cher. Parfois, on arrive à Ouagadougou sans le sou, totalement dépouillé. Mais, j’ai établi une pièce d’identité récemment. Ça devrait aller ».
Au même moment, un coupeur d’ongles fait son entrée. Il salue tout le monde en haoussa, et prend place en attendant son tour. Lui aussi, vient pour envoyer de l’argent. « Mon nom est Halirou. Je viens de Tahoua. Je suis coupeur d’ongles, comme vous pouvez le voir… Je suis au Burkina depuis quatre mois. Là, je vais envoyer quelques sous à la famille. Au pays, j’ai laissé mon père et ma petite sœur. ». Il ne parle pas de sa mère, probablement décédée. Il poursuit : « Je suis l’aîné. Ma petite soeur va bientôt se marier. Je lui envoie donc ma contribution. J’aurais bien voulu participer au mariage, mais ma carte d’identité n’est plus valide. Je ne veux pas prendre le risque de voyager avec. En venant, malgré ma carte, les policiers m’ont pris plus de 37.000 F. CFA sur tout le trajet. Or, même si je la renouvelle, je n’ai pas cette somme pour supporter le voyage. Donc…» Ibrahim ne parvient pas à terminer sa phrase. Mais, son émotion est perceptible.
Nous lui demandons son mot de fin : « Je demande aux autorités nigériennes de peser de tout leur poids pour que cessent le rackets policiers. Nous en souffrons beaucoup ».
Abdoul-Malik Issoufa