CNULCD, 13 août 2025
Il est impératif d’infléchir la courbe de la dégradation des sols en réduisant le gaspillage alimentaire, en libérant le potentiel alimentaire durable des océans et en restaurant la moitié des terres dégradées d’ici 2050.
Dans une publication parue dans Nature, vingt et un scientifiques renommés appellent à une transformation en profondeur des systèmes alimentaires afin de freiner et d’inverser la dégradation des terres — une condition essentielle, selon eux, pour atténuer le changement climatique et enrayer la perte de biodiversité.
L’article se distingue en quantifiant, à l’horizon 2050, l’impact d’une réduction de 75 % du gaspillage alimentaire et d’un recours accru à l’alimentation marine durable — des mesures qui, à elles seules, permettraient d’épargner une surface supérieure à celle du continent africain.
Selon l’article : « Les systèmes alimentaires restent largement absents des accords intergouvernementaux et insuffisamment pris en compte dans les stratégies actuelles de lutte contre la dégradation des terres. Une réforme rapide et cohérente à l’échelle mondiale permettrait pourtant de passer d’une situation de crise à une dynamique de restauration, et d’ouvrir la voie à un avenir plus durable et plus équitable pour tous. »
Les auteurs insistent particulièrement sur la nécessité de mettre un terme au gaspillage alimentaire et de gérer les terres de manière durable, et proposent un objectif ambitieux mais atteignable : restaurer 50 % des terres dégradées d’ici 2050 (contre celui actuel de 30 % d’ici 2030).
Ils soulignent par ailleurs que ces mesures offriraient des co-bénéfices considérables pour le climat, la biodiversité et la santé mondiale.
Le professeur Fernando T. Maestre, auteur principal de l’article et chercheur à l’Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), en Arabie Saoudite, déclare :
« Cet article présente un ensemble d’actions audacieuses et cohérentes pour répondre simultanément à la dégradation des terres, à la perte de biodiversité et au changement climatique, en traçant une feuille de route claire à l’horizon 2050. »
« En repensant nos systèmes alimentaires, en restaurant les terres dégradées, en exploitant le potentiel des ressources marines durables et en renforçant la coopération entre pays et secteurs, nous pouvons « infléchir la courbe » et inverser la tendance de dégradation des terres tout en progressant vers les objectifs de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), ainsi que ceux d’autres accords internationaux. »
Barron J. Orr, co-auteur et scientifique en chef de la CNULCD, ajoute : « Lorsque les sols perdent leur fertilité, que les nappes phréatiques s’épuisent et que la biodiversité disparaît, la restauration devient infiniment plus coûteuse. Les taux actuels de dégradation des terres contribuent à une cascade de défis mondiaux croissants, notamment l’insécurité alimentaire et hydrique, les déplacements forcés et les migrations de population, les troubles sociaux et les inégalités économiques.»
« La dégradation des terres n’est pas qu’un enjeu rural : elle a un impact direct sur ce que nous mangeons, sur l’air que nous respirons et sur la stabilité du monde dans lequel nous vivons. Il ne s’agit pas seulement de préserver l’environnement, mais bien de protéger notre avenir commun. »
Recommandations clés : 1. Restaurer 50 % des terres dégradées grâce à des pratiques durables de gestion des sols permettrait de récupérer environ 3 millions de km² de terres cultivées et 10 millions de km² de terres non cultivées, soit un total de 13 millions de km².
Selon l’article, la restauration des terres doit inclure les populations qui y vivent et les utilisent au quotidien — en particulier les peuples autochtones, les petits exploitants agricoles, les femmes et les communautés vulnérables.
Pour soutenir ces populations, les auteurs recommandent : Un meilleur appui aux petits agriculteurs : la majeure partie de l’alimentation mondiale est produite par des petites exploitations ou des fermes familiales. L’article plaide pour une réorientation des subventions agricoles : moins pour les grandes exploitations industrielles, plus pour les petits producteurs durables. Il préconise aussi d’encourager une gestion responsable des terres parmi les 608 millions de fermes recensées dans le monde, et de faciliter leur accès aux technologies, aux droits fonciers sécurisés et à des marchés équitables.
Des taxes ou redevances foncières : pour récompenser les pratiques agricoles à faible impact et pénaliser les activités polluantes.
Un étiquetage environnemental : pour permettre aux consommateurs de faire des choix alimentaires éclairés et respectueux de la planète.
De meilleures données et rapports : pour suivre les émissions et évaluer les impacts liés à l’usage des terres.
2. Réduire le gaspillage alimentaire de 75 % : on estime que 56,5 millions de km² de terres agricoles (cultures et pâturages) sont utilisées pour produire des aliments, dont environ 33 % sont gaspillés — 14 % sont perdus après la récolte sur les exploitations, et 19 % au niveau de la distribution, de la restauration et des ménages.
Réduire ce gaspillage de 75 % permettrait ainsi d’épargner environ 13,4 millions de km² de terres.
Les auteurs mettent en avant plusieurs mesures clés : -Mettre en place des politiques pour prévenir la surproduction et les pertes alimentaires
-Interdire les normes de l’industrie agroalimentaire qui écartent les produits dits « moches »
-Encourager les dons alimentaires et la vente à prix réduit des produits proches de leur date limite
-Mener des campagnes de sensibilisation pour réduire le gaspillage au sein des foyers
-Soutenir les petits agriculteurs des pays en développement dans l’amélioration du stockage et du transport.
Ils citent en exemple une nouvelle législation en Espagne, qui oblige les commerces à donner ou vendre leurs surplus, impose aux restaurants de proposer des contenants à emporter, et demande à tous les acteurs de la chaîne alimentaire de mettre en place des plans formels de réduction du gaspillage. 3. Intégrer les systèmes alimentaires terrestres et marins : la viande rouge produite de manière non durable mobilise d’importantes quantités de terres, d’eau et de fourrage, tout en générant de fortes émissions de gaz à effet de serre. À l’inverse, les produits de la mer et les algues offrent des alternatives durables et nutritives. Les algues, par exemple, ne nécessitent pas d’eau douce et absorbent le carbone atmosphérique. L’aquaculture responsable — axée sur des espèces à faible impact, comme les moules ou les produits dérivés des algues — peut contribuer à alléger la pression sur les terres.
Les auteurs recommandent : de remplacer 70 % de la viande rouge produite de manière non-durable par des produits de la mer, tels que le poisson (sauvage ou d’élevage) et les mollusques. Cela permettrait d’économiser 17,1 millions de km² de terres actuellement utilisées pour le pâturage et l’alimentation du bétail d’utiliser des produits dérivés d’algues comme substituts végétaux — remplacer ne serait-ce que 10 % de la consommation mondiale de légumes par des produits à base d’algues permettrait de libérer plus de 0.4 millions de km² de terres agricoles.
Ces changements concernent avant tout les pays les plus riches, où la consommation de viande reste très élevée. Dans certaines régions à faible revenu, en revanche, les produits d’origine animale restent essentiels pour une alimentation équilibrée.
Au total, les mesures 2 et 3 liées aux systèmes alimentaires permettraient d’épargner environ 30,9 millions de km² — une surface équivalente à celle de l’Afrique.
La combinaison de ces trois leviers — réduction du gaspillage alimentaire, restauration des terres et transition vers des régimes alimentaires plus durables — permettrait de restaurer ou d’épargner environ 43,8 millions de km² de terres en 30ans (2020-2050).
Ensemble, ces mesures contribueraient également à : A l’effort de réduction des émissions en évitant environ 13 gigatonnes d’équivalent CO₂ par an d’ici à 2050 ; Préserver la biodiversité, en améliorant la qualité des habitats et le fonctionnement des écosystèmes, tout en évitant la conversion des derniers espaces naturels en terres agricoles ; Aider la communauté internationale à atteindre ses engagements, notamment dans le cadre des trois Conventions de Rio (climat, biodiversité et désertification), des Objectifs de développement durable (ODD), et d’autres accords multilatéraux.
Une action coordonnée entre les Conventions de Rio
Les auteurs appellent les trois conventions de Rio des Nations Unies — la CDB, la CNULCD et la CCNUCC — à s’unir autour d’objectifs communs en matière de gestion des terres et de systèmes alimentaires. Ils encouragent le partage des connaissances les plus avancées, un suivi régulier des progrès, ainsi qu’une meilleure intégration des données scientifiques dans les politiques publiques, afin d’accélérer l’action sur le terrain.
Selon eux, les systèmes alimentaires et la gestion des terres jouent un rôle central dans la réalisation des objectifs des trois conventions, mais aussi des Objectifs de développement durable.
Ils appellent les Parties aux trois conventions à promouvoir des actions multilatérales coordonnées et concertées sur les terres et les systèmes alimentaires. À leur dernière Conférence des Parties (COP16), tenue à Riyad (Arabie Saoudite), les 197 Parties à la CNULCD ont d’ailleurs adopté une décision visant à éviter, réduire et inverser la dégradation des terres et des sols agricoles.
Commentaires additionnels
« La terre, ce n’est pas seulement du sol et de l’espace. Elle abrite la biodiversité, régule le cycle de l’eau, stocke le carbone et contrôle le climat. Elle nous nourrit, soutient la vie et porte en elle les racines profondes de notre héritage et de nos savoirs.
Aujourd’hui, plus d’un tiers des terres émergées sert à produire notre alimentation — pour une population mondiale de plus de 8 milliards d’habitants. Et pourtant, l’agriculture industrielle, la déforestation et la surexploitation dégradent les sols, polluent les eaux et détruisent des écosystèmes vitaux.
La production alimentaire à elle seule est responsable de près de 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il faut agir. Pour garantir un avenir viable et protéger nos terres, nous devons repenser notre manière de cultiver, de vivre, et de nous relier à la nature — et les uns aux autres. Il est temps d’adopter une véritable éthique du soin des terres : les considérer comme des alliées vivantes, et non plus comme de simples ressources à exploiter. »
— Elisabeth Huber-Sannwald, co-autrice, professeure à l’Instituto Potosino de Investigación Científica y Tecnológica, San Luis Potosí, Mexique
« La dégradation des terres est un facteur majeur de migration forcée et de conflits liés aux ressources. Les régions qui dépendent fortement de l’agriculture pour vivre — en particulier les petits exploitants qui nourrissent une grande partie du monde — sont particulièrement vulnérables. Ces pressions peuvent déstabiliser des régions entières et accentuer les risques à l’échelle mondiale. »
— Dolors Armenteras, co-autrice, professeure d’écologie du paysage, Universidad Nacional de Colombia, Bogotá
« Intégrer les systèmes alimentaires terrestres et marins est essentiel pour garantir la sécurité alimentaire, restaurer les terres dégradées et maintenir des populations en bonne santé. »
— Carlos M. Duarte, co-auteur, professeur en sciences marines, KAUST
Quelques chiffres clés
56 % : Augmentation estimée de la production alimentaire nécessaire d’ici 2050 si nous maintenons les tendances actuelles
34 % : Part des terres émergées (hors zones glacées) déjà utilisées pour la production alimentaire — un chiffre qui pourrait atteindre 42 % d’ici 2050
21 % : Part des émissions mondiales de gaz à effet de serre générées par les systèmes alimentaires
80 % : Proportion de la déforestation mondiale liée à la production alimentaire
70 % : Part de la consommation d’eau douce destinée à l’agriculture
33 % : Part des denrées alimentaires produites dans le monde qui sont actuellement gaspillées
1 000 milliards de dollars américains: Valeur annuelle estimée des pertes et gaspillages alimentaires à l’échelle mondiale
75 % : Objectif ambitieux de réduction du gaspillage alimentaire mondial d’ici 2050
50 % : Part des terres dégradées que les auteurs proposent de restaurer d’ici 2050 via une gestion durable des sols
278 milliards de dollars américains : Montant du déficit annuel de financement pour atteindre les objectifs de restauration fixés par la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD).
608 millions : Nombre total de fermes dans le monde
90 % : Pourcentage des exploitations agricoles de moins de 2 hectares
35 % : Part de la production alimentaire mondiale assurée par les petites exploitations
6,5 milliards de tonnes : Rendement potentiel de biomasse grâce à la culture d’algues sur 650 millions d’hectares d’océans
17,5 millions de km² : Surface de terres agricoles qui pourrait être épargnée si l’humanité adoptait le régime alimentaire Rio+ (moins de viande rouge, plus de produits de la mer et à base d’algues)
166 millions : Nombre de personnes qui pourraient éviter des carences en micronutriments grâce à une consommation accrue d’aliments aquatiques
Infléchir la courbe de la dégradation des sols pour atteindre les objectifs environnementaux mondiaux, https://doi.org/10.1038/s41586-025-09365-5
Auteurs
Fernando T. Maestre – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite (auteur principal)
Emilio Guirado – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite
Dolors Armenteras – Université nationale de Colombie, Bogotá, Colombie
Hylke E. Beck – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite
Mashael bint Saud AlShalan – Aeon Collective, Riyad, Arabie Saoudite
Noura bint Turki Al-Saud – Aeon Collective, Riyad, Arabie Saoudite
Ralph Chami – Blue Green Future LLC, Washington D.C., États-Unis
Bojie Fu – Laboratoire clé d’écologie régionale et urbaine, Académie chinoise des sciences & Université de l’Académie chinoise des sciences, Pékin, Chine
Helene Gichenje – Consultante indépendante, Nairobi, Kenya
Elisabeth Huber-Sannwald – Institut de recherche scientifique et technologique de San Luis Potosí, Mexique
Chinwe Ifejika Speranza – Institut de géographie, Université de Berne, Suisse
Jaime Martínez-Valderrama – Station expérimentale des zones arides, CSIC, Almería, Espagne
Matthew F. McCabe – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite
Barron J. Orr – Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), Bonn, Allemagne
Ting Tang – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite
Graciela Metternicht – Université de Western Sydney, Australie
Michael Miess – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite
James F. Reynolds – Nicholas School of the Environment et Département de biologie, Université Duke, États-Unis
Lindsay C. Stringer – Université de York, Royaume-Uni
Yoshihide Wada – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite
Carlos M. Duarte – Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), Arabie Saoudite
A propos de KAUST
Fondée en 2009, l’Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST) est une université de recherche de niveau post-universitaire, dédiée à la recherche de solutions face aux grands défis scientifiques et technologiques mondiaux — ainsi qu’à ceux auxquels fait face l’Arabie saoudite — dans des domaines tels que l’alimentation et la santé, l’eau, l’énergie, l’environnement et le numérique.
KAUST adopte une approche interdisciplinaire fondée sur la curiosité scientifique.L’université rassemble des chercheurs et talents du monde entier pour faire progresser la recherche. Plus de 120 nationalités vivent, travaillent et étudient sur son campus. KAUST est également un moteur d’innovation, de développement économique et de prospérité sociale, avec des recherches donnant lieu à de nouveaux brevets et produits, à des start-ups ambitieuses, à des initiatives régionales et mondiales, ainsi qu’à des partenariats avec d’autres institutions académiques, des entreprises et des agences saoudiennes.
https://www.kaust.edu.sa/en
A propos de la CNULCD
La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) est la vision et la voix mondiales de la terre. Nous unissons les gouvernements, les scientifiques, les décideurs, le secteur privé et les communautés autour d’une vision commune et d’une action mondiale pour restaurer et gérer les terres du monde pour la sauvegarde de l’humanité et de la planète. Bien plus qu’un traité international signé par 197 parties, la Convention sur la lutte contre la désertification est un engagement multilatéral visant à atténuer les effets actuels de la dégradation des terres et à faire évoluer la gestion des terres de demain afin de fournir de la nourriture, de l’eau, des logements et des opportunités économiques à tous les peuples de manière équitable et inclusive.
La 16ᵉ session de la Conférence des Parties (COP16) à la CNULCD s’est tenue à Riyad, en Arabie saoudite, en décembre 2024. La Mongolie accueillera la COP17 à Oulan-Bator, du 17 au 28 août 2026 — un événement majeur qui coïncidera avec l’Année internationale du pastoralisme et des pâturages proclamée par les Nations Unies.
Des délégués des Parties à la Convention, des chefs d’État, des ministres, ainsi que des représentants d’organisations internationales, de la communauté scientifique, de la société civile et du secteur privé se réuniront pour accélérer l’action contre la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse.
Source : CNULCD
Photo: Demi-lune au Niger