Crises alimentaires, hydriques et énergétiques, tragédies humaines entre 2023 et 2025 : une analyse approfondie signée par le Centre national américain de lutte contre la sécheresse et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification.
Communiqué de presse, UNCCD, 2 juin 2025
Selon un rapport soutenu par les Nations Unies et publié le 2 juin dernier, certaines sécheresses les plus importantes et dommageables de l’histoire ont eu lieu depuis 2023, sous l’effet des changements climatiques et de la pression continue exercée sur les terres et les ressources en eau.
Préparé par le Centre national américain de lutte contre la sécheresse (NDMC) et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), avec l’appui de l’Alliance internationale pour la résilience face à la sécheresse (IDRA), le rapport « Sécheresse 2023–2025 : zones critiques dans le monde – Trajectoires vers l’impact » offre un aperçu complet de la manière les sécheresses aggravent la pauvreté, la faim, la précarité énergétique et provoquent l’effondrement des écosystèmes.
« La sécheresse est un tueur silencieux. Elle s’installe insidieusement, épuise les ressources et détruit les vies lentement. Les cicatrices qu’elle laisse sont profondes », affirme Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la CNULCD.
« La sécheresse n’est plus une menace lointaine. Elle est là, elle s’intensifie et exige une coopération mondiale urgente. Quand énergie, nourriture et eau viennent à manquer en même temps, les sociétés vacillent. C’est la nouvelle réalité à laquelle il faut se préparer », ajoute-t-il.
« Ce n’est pas une simple vague de sécheresse », déclare Dr Mark Svoboda, co-auteur du rapport et directeur du NDMC. « C’est une catastrophe mondiale lente, la pire que je n’aie jamais observée. Ce rapport souligne l’urgence d’un suivi systématique des impacts de la sécheresse sur les vies humaines, les moyens de subsistance et les écosystèmes. »
« Les pays méditerranéens subissent les signes avant-coureurs des économies modernes », ajoute-t-il. « Les difficultés vécues par l’Espagne, le Maroc et la Turquie pour sécuriser l’eau, la nourriture et l’énergie sont un aperçu de notre avenir si le réchauffement climatique se poursuit sans contrôle. Aucun pays, quel que soit son niveau de richesse ou de préparation, ne peut se permettre l’inaction. »
Une crise d’ampleur mondiale
Le nouveau rapport synthétise des informations issues de centaines de sources gouvernementales, scientifiques et médiatiques afin de mettre en lumière les impacts les plus sévères dans les zones de sécheresse les plus critiques, notamment en Afrique (Somalie, Éthiopie, Zimbabwe, Zambie, Malawi, Botswana, Namibie), en Méditerranée (Espagne, Maroc, Turquie), en Amérique latine (Panama, bassin amazonien) et en Asie du Sud-Est.
Afrique :
• Plus de 90 millions de personnes en Afrique de l’Est et australe sont confrontées à une faim aiguë. Certaines zones subissent leur pire sécheresse jamais enregistrée.
• L’Afrique australe, déjà sujette à la sécheresse, a été dévastée. En août 2024, environ un sixième de la population, soit 68 millions de personnes, avait besoin d’aide alimentaire.
• En Éthiopie, au Zimbabwe, en Zambie et au Malawi, les récoltes de maïs et de blé ont échoué à plusieurs reprises. Au Zimbabwe, la récolte de maïs de 2024 a chuté de soixante-dix pour cent par rapport à l’année précédente. Les prix du maïs ont doublé. Environ 9 000 têtes de bétail sont mortes de soif et de faim.
• En Somalie, le gouvernement estime que 43 000 personnes sont mortes en 2022 à cause de la faim liée à la sécheresse. Début 2025, 4,4 millions de personnes — soit un quart de la population — sont en situation d’insécurité alimentaire grave. Parmi elles, 784 000 devraient atteindre un niveau d’urgence.
• La Zambie a connu l’une des pires crises énergétiques au monde. En avril 2024, le fleuve Zambèze est tombé à vingt pour cent de sa moyenne à long terme. La principale centrale hydroélectrique du pays, le barrage de Kariba, est tombée à sept pour cent de sa capacité de production. Cela a entraîné des coupures de courant pouvant aller jusqu’à 21 heures par jour, et la fermeture d’hôpitaux, de boulangeries et d’usines.
Méditerranée :
• Espagne : Les pénuries d’eau ont touché l’agriculture, le tourisme et l’approvisionnement domestique. En septembre 2023, deux années de sécheresse et une chaleur record ont entraîné une baisse de cinquante pour cent de la récolte d’olives. Les prix de l’huile d’olive ont doublé dans tout le pays.
• Maroc : En 2025, la population ovine était inférieure de trente-huit pour cent par rapport à 2016, ce qui a conduit à un appel royal pour annuler les sacrifices traditionnels de l’Aïd.
• Turquie : La sécheresse a accéléré l’épuisement des nappes phréatiques, provoquant l’apparition de dolines qui représentent un danger pour les communautés et leurs infrastructures, tout en réduisant de manière permanente la capacité de stockage des aquifères.
Amérique latine
• Bassin amazonien : Les rivières ont atteint leurs plus bas niveaux en 2023 et 2024, entraînant la mort massive de poissons et de dauphins menacés d’extinction. L’approvisionnement en eau potable et les transports ont été perturbés pour des centaines de milliers de personnes. Avec l’intensification de la déforestation et des incendies, l’Amazonie risque de passer du rôle de puits de carbone à celui de source de carbone.
• Canal de Panama : La baisse des niveaux d’eau a réduit le nombre de transits de plus d’un tiers — de trente-huit à vingt-quatre navires par jour entre octobre 2023 et janvier 2024 — perturbant gravement le commerce mondial. Face à des retards de plusieurs semaines, de nombreux navires ont été détournés vers des routes plus longues et coûteuses, via le canal de Suez ou le cap de Bonne-Espérance. Parmi les effets en chaîne : un ralentissement des exportations de soja des États-Unis et des pénuries, accompagnées d’une hausse des prix des fruits et légumes au Royaume-Uni.
Asie du Sud-Est
• La sécheresse a perturbé la production et les chaînes d’approvisionnement de cultures clés comme le riz, le café et le sucre. En 2023–2024, les conditions de sécheresse en Thaïlande et en Inde ont provoqué des pénuries, entraînant une hausse de huit virgule neuf pour cent du prix du sucre et des produits sucrés aux États-Unis.
Une « tempête parfaite » entre El Niño et le changement climatique
L’épisode El Niño de 2023–2024 a amplifié les effets déjà sévères du changement climatique, provoquant des conditions de sécheresse dans de vastes zones agricoles et écologiques. Les impacts ont été les plus marqués dans les points chauds climatiques — des régions déjà touchées par la hausse des températures, la pression démographique et des infrastructures fragiles.
« C’était une tempête parfaite », déclare Dr Kelly Helm Smith, coautrice du rapport, directrice adjointe du NDMC et spécialiste des impacts de la sécheresse.
« El Niño a ajouté de l’huile sur le feu du changement climatique, aggravant les effets pour de nombreuses sociétés et écosystèmes déjà au-delà de leurs limites. »
Dr Cody Knutson, co-auteur du rapport et responsable de la recherche sur la planification de la sécheresse au NDMC, souligne une estimation récente de l’OCDE : aujourd’hui, un épisode de sécheresse coûte au moins deux fois plus cher qu’en 2000, avec une augmentation prévue de trente-cinq à cent dix pour cent d’ici 2035.
« Les effets en cascade peuvent transformer une sécheresse régionale en choc économique mondial », ajoute-t-elle. « Aucun pays n’est à l’abri lorsque les systèmes vitaux dépendants de l’eau commencent à s’effondrer. »
Les femmes et enfants sont parmi les plus touchés
Les plus vulnérables face aux effets de la sécheresse sont les femmes, les enfants, les personnes âgées, les éleveurs nomades, les agriculteurs et les personnes atteintes de maladies chroniques. Les risques sanitaires incluent des flambées de choléra, une malnutrition aiguë, une déshydratation et l’exposition à de l’eau contaminée.
Le rapport souligne en particulier le fardeau disproportionné supporté par les femmes et les enfants.
En Afrique de l’Est, les mariages forcés de mineures ont plus que doublé, les familles cherchant à obtenir une dot pour survivre. Bien que cette pratique soit interdite en Éthiopie, sa fréquence a plus que doublé dans les quatre régions les plus durement touchées par la sécheresse. Les jeunes filles mariées peuvent apporter un revenu sous forme de dot tout en réduisant le nombre de bouches à nourrir.
Au Zimbabwe, des districts entiers ont enregistré des abandons scolaires massifs dus à la faim, au coût de la vie et au manque d’installations sanitaires, en particulier pour les filles.
« Les mécanismes d’adaptation que nous avons observés durant cette sécheresse étaient de plus en plus désespérés », déclare Paula Guastello, auteure principale du rapport et chercheuse au NDMC.
« Des filles retirées de l’école et mariées de force, des hôpitaux plongés dans le noir, des familles creusant le lit asséché des rivières pour trouver de l’eau — même contaminée. Ce sont les signes d’une crise grave. »
En Amazonie, la sécheresse a bouleversé la vie des communautés rurales et autochtones isolées. Dans certaines zones, le niveau du fleuve Amazone est tombé à son plus bas niveau jamais enregistré, laissant des habitants bloqués — y compris des femmes en train d’accoucher — et des villages entiers sans eau potable.
« À mesure que les sécheresses s’intensifient, il est essentiel de travailler ensemble à l’échelle mondiale pour protéger les personnes et les écosystèmes les plus vulnérables, et réévaluer la durabilité de nos usages de l’eau dans un monde en mutation », souligne Guastello.
La Secrétaire exécutive adjointe de la CNULD, Andrea Meza, déclare :
« Le rapport met en lumière les impacts profonds et généralisés de la sécheresse dans un monde interconnecté : depuis ses effets en cascade sur les prix des denrées de base comme le riz, le sucre et l’huile en Asie du Sud-Est et en Méditerranée, jusqu’aux perturbations de l’accès à l’eau potable et à la nourriture en Amazonie dues à la baisse du niveau des rivières, en passant par les dizaines de millions de personnes touchées par la malnutrition et les déplacements en Afrique. »
« Les preuves sont claires », ajoute Meza. « Nous devons investir d’urgence dans la gestion durable des terres et de l’eau, les solutions fondées sur la nature, les cultures adaptées et les politiques publiques intégrées, afin de renforcer notre résilience face à la sécheresse — ou faire face à des chocs économiques graves, à l’instabilité et aux migrations forcées. »
Faune décimée
Au-delà des 200 dauphins fluviaux menacés et de milliers de poissons morts à cause de la sécheresse en Amazonie, les impacts sur la faune comprennent :
• 100 éléphants sont morts de faim et de soif dans le parc de Hwange, au Zimbabwe, entre août et décembre 2023.
• Des hippopotames se sont retrouvés bloqués dans des lits de rivières asséchés au Botswana en 2024.
• Certains pays ont procédé à l’abattage d’animaux sauvages (par exemple, 200 éléphants au Zimbabwe et en Namibie) pour nourrir les communautés rurales et protéger les écosystèmes du surpâturage.
Leçons et recommandations
Le rapport appelle à des investissements urgents dans la préparation à la sécheresse, notamment :
• Le renforcement des systèmes d’alerte précoce et de la surveillance en temps réel de la sécheresse et de ses impacts, y compris les conditions favorisant l’insécurité alimentaire et hydrique.
• Le recours à des solutions fondées sur la nature, telles que la restauration des bassins versants et l’utilisation de cultures indigènes.
• Le développement d’infrastructures résilientes, incluant des systèmes énergétiques décentralisés et des technologies d’approvisionnement alternatif en eau.
• Une adaptation sensible au genre, pour éviter que les femmes et les filles ne soient davantage marginalisées.
• Une coopération internationale renforcée, notamment pour la protection des bassins fluviaux transfrontaliers et des routes commerciales.
« La sécheresse n’est pas qu’un phénomène météorologique – elle peut devenir une urgence sociale, économique et environnementale », ajoute Dr Smith.
« La question n’est pas de savoir si cela se reproduira, mais si nous serons mieux préparés la prochaine fois. »
« La sécheresse touche de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables. Nous pouvons agir dès maintenant pour en atténuer les effets futurs, en garantissant à chacun l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’éducation, aux soins de santé et à des moyens de subsistance », ajoute-t-elle.
« Les nations du monde disposent des ressources et des connaissances nécessaires pour éviter de nombreuses souffrances », conclut la Dre Smith. « La véritable question est : en avons-nous la volonté ? »
À propos du rapport
Le Centre national de lutte contre la sécheresse (NDMC) de l’Université du Nebraska–Lincoln et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) ont cherché à documenter de manière exhaustive les impacts récents de la sécheresse afin d’éclairer les politiques mondiales et de mieux préparer les sociétés aux sécheresses futures.
Le rapport s’appuie sur plus de 250 études scientifiques évaluées par des pairs, des sources de données officielles et des articles de presse couvrant plus d’une douzaine de pays et régions.
Chiffres clés :
• 68 millions : personnes ayant besoin d’aide alimentaire en Afrique australe
• 23 millions : personnes confrontées à une faim aiguë en Afrique de l’Est
• 70 pour cent : perte de la récolte de maïs au Zimbabwe (2024)
• Jusqu’à 21 heures par jour : coupures de courant en Zambie
• Plus de 200 : dauphins fluviaux menacés morts de chaleur en Amazonie (septembre 2023)
• 38 : transits quotidiens au canal de Panama avant la sécheresse ; vingt-quatre pendant la sécheresse
• 50 pour cent : chute de la production d’huile d’olive en Espagne
• Plus d’un million : personnes déplacées en Somalie en 2022 à cause de la sécheresse
• 4,4 millions : personnes en situation de faim critique (début 2025)
• 1,7 million : enfants souffrant de malnutrition aiguë (avril–juin 2025)
• 70 pour cent : baisse du débit des chutes Victoria par rapport à 2023 (côté Zambie, 2024)
• Plus de 100 : éléphants morts de sécheresse dans le parc de Hwange, Zimbabwe
• Plus de 1 600 : dolines recensées en Turquie en raison de l’épuisement des nappes phréatiques
• Prix du maïs presque doublé : en Zambie
• 22,84 milliards d’euros : investissements de l’Espagne dans l’irrigation et les infrastructures hydrauliques
Par UNCCD
Photo : UNCCD