Deux ans après le meurtre de George Floyd et la prise de conscience mondiale de l’injustice raciale, la fusillade de Buffalo nous rappelle qu’il est urgent de mettre en tête de l’ordre du jour des Nations Unies la fin des inégalités et de la discrimination raciales.
Le 14 mai 2022, à Buffalo, dans l’État de New York, un suprémaciste blanc a diffusé en direct son attaque terroriste contre des Noirs dans un supermarché local, tuant dix personnes, en blessant trois autres, tout en proférant des insultes raciales. Onze des victimes étaient noires. Le tueur croit à la théorie du complot d’extrême droite du «Grand Remplacement». Ces meurtres ont choqué le monde entier et ont résonné à travers les murs de verre du siège des Nations Unies à New York.
À la suite de l’incident de Buffalo, le Secrétaire général des Nations Unies a condamné dans les termes les plus forts le racisme sous toutes ses formes et la discrimination. M. António Guterres a déclaré que «nous devons tous travailler ensemble à la construction de sociétés plus pacifiques et inclusives».
Nous soutenons de tout cœur notre Secrétaire général, un leader dont l’engagement profond pour un monde meilleur est incontestable, et nous nous faisons l’écho de sa condamnation de la fusillade de Buffalo.
Nos pensées vont aux familles des victimes et à leur communauté. Nous condamnons fermement ce crime odieux et cet acte insensé, motivé par la haine et l’extrémisme, et commis contre des personnes d’ascendance africaine.
Nous devons cependant admettre que nous sommes déjà passés par là. La question qui se pose est la suivante : quand en aurons-nous assez ? N’en avons-nous pas assez de l’inégalité et de la discrimination ? Assez du racisme structurel et de l’injustice systémique ?
Nous avons participé à plusieurs rencontres ! Il y a eu les deux conférences mondiales contre le racisme et la discrimination raciale, qui se sont tenues à Genève en 1978 et 1983. Près de 30 ans se sont écoulés depuis la Conférence mondiale sur les droits de l’homme de 1993 à Vienne, qui a appelé à l’élimination rapide et complète de toutes les formes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée. 20 ans se sont écoulés depuis la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, qui s’est tenue à Durban, en Afrique du Sud.
Nous avons fait les constatations ! Le racisme est un précurseur d’atrocités violentes. Plusieurs conventions des Nations Unies notent ces corrélations, notamment la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965 et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984. Les États Membres des Nations Unies se sont engagés à «faire progresser les efforts nationaux et internationaux visant à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité, ainsi que de leur incitation.»
Malgré tous ces efforts, les Africains et les Afrodescendants, de Buffalo au Brésil, continuent d’être victimes de l’injustice raciale. La lutte contre le racisme doit être une question urgente de priorité.
Le 25 mai 2020, il y a exactement deux ans, George Floyd, un afro-américain, a été brutalement assassiné en plein jour dans le Minnesota. Derek Chauvin, un policier américain blanc, a ensuite été reconnu coupable du meurtre de Floyd.
Environ un mois après le meurtre de George Floyd, plus de 20 hauts fonctionnaires des Nations Unies d’ascendance africaine ont rédigé un Lettre ouverte pour exprimer leur indignation 6 face à l’injustice du racisme. Nous avons écrit que «le racisme reste omniprésent dans notre pays hôte et dans le monde entier». Déterminés à faire davantage, nous avons déclaré que nous «devons à George Floyd et à toutes les victimes de discrimination raciale et de brutalité policière de démanteler le racisme institutionnel».
Tout en dénonçant le racisme dans le monde, nous sommes conscients que le racisme systémique existe même au sein des Nations Unies, et qu’il a un impact négatif sur les personnes noires, métisses et autres personnes de couleur, en particulier les Africains et les descendants d’Africains. Les Nations Unies ont été créées il y a plus de 75 ans, alors que de nombreuses nations étaient encore dirigées par des «maîtres» coloniaux et que les asymétries du pouvoir étaient acceptées. En même temps, les Nations Unies trouvent leur fondement sur la conviction que tous les êtres humains sont égaux et ont le droit de vivre sans crainte de persécution.
C’est pourquoi, dans la Lettre ouverte de 2020, les hauts fonctionnaires d’ascendance africaine ont appelé à une évaluation urgente et honnête du racisme au sein de notre institution. Traduite dans une vingtaine de langues couvrant tous les continents, cette lettre ouverte a été le point de départ d’une importante conversation au sein des Nations Unies. Par la suite, nous avons créé le Groupe de hauts fonctionnaires des Nations Unies d’ascendance africaine, également connu sous le nom d’UNSAG. L’UNSAG rassemble des dizaines de fonctionnaires internationaux qui, portés par les valeurs et les principes inscrits dans la Charte des Nations Unies, s’unissent pour lutter contre le racisme au sein des Nations Unies et dans le monde.
Peu de temps après, le Secrétaire général a créé un groupe de travail sur la lutte contre le racisme et la promotion de la dignité pour tous. En octobre 2020, il a initié un dialogue à l’échelle de l’organisation sur le racisme sur notre lieu de travail. Le groupe de travail a présenté un Plan d’action stratégique sur la discrimination raciale. En lançant ce plan, le Secrétaire général a promis de créer un groupe de pilotage pour superviser la mise en œuvre, et de nommer un Conseiller spécial pour l’appuyer dans ce travail important. L’UNSAG salue le Secrétaire général pour les décisions courageuses qu’il a prises pour mettre fin au racisme au sein des Nations Unies et attend avec impatience la concrétisation de ces promesses.
Au cours des deux années qui se sont écoulées depuis le meurtre de George Floyd et avant les tueries de Buffalo, de nombreuses autres victimes du racisme sont tombées sous la violence des personnes dans le monde entier dont la haine est la seule motivation. Aujourd’hui, garder le silence n’est pas une option. L’UNSAG affirme que le silence est complice. Mettre fin au racisme structurel et systémique est l’affaire de tous, chacun doit jouer son rôle, dans tous les pays et dans toutes les sociétés. L’UNSAG appelle les dirigeants des entités politiques, du secteur des affaires, des organisations intergouvernementales et de la société civile, ainsi que les citoyens au sein de leurs communautés, à donner la priorité à l’élimination de l’injustice raciale.
Nous vivons des temps difficiles. Le monde est confronté à des crises multiples. Alors que le Secrétaire général Guterres conduit le monde sur la voie permettant d’éviter une crise climatique, stimuler la reprise économique après la Covid 19, mettre fin aux guerres et maintenir la paix, et atteindre les Objectifs de développement durable, l’UNSAG saisit cette occasion pour lui rappeler qu’aucun de ces objectifs ne peut être atteint sans s’attaquer aux multiples inégalités qui se croisent et se renforcent mutuellement à travers les générations – et cela inclut les inégalités raciales. Lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a déclaré la période 2015-2024 comme la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, la famille des nations a reconnu que «les personnes d’ascendance africaine représentent un groupe distinct dont les droits doivent être promus et protégés».
Il est temps que les Nations Unies agissent de manière décisive pour mettre fin au racisme systémique contre le personnel d’ascendance africaine des Nations Unies. L’UNSAG demande un suivi urgent et efficace des recommandations du groupe de travail sur le racisme mis en place par le Secrétaire général et attend avec impatience l’entrée en fonction du Conseiller spécial sur le racisme annoncé lors de la réunion publique du personnel en février de cette année.
Au nom des membres de l’UNSAG, j’exprime notre confiance et notre engagement à soutenir les efforts du Secrétaire général António Guterres pour éradiquer le racisme au sein des Nations Unies. Nous saluons nos collègues, les membres des Nations Unies d’ascendance africaine, également connus sous le nom de UNPAD pour leurs efforts inlassables et nous exhortons le Secrétariat des Nations Unies et toutes ses entités à renforcer et à collaborer avec l’UNPAD. Si près de la fin de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, et près de 500 ans après le début de la révoltante traite transatlantique des a Africains, des incidents racistes récurrents dans le monde, comme celui de Buffalo, nous rappellent que l’arc moral de l’univers est certes long, mais qu’il s’incline vers la justice. Nous, fonctionnaires internationaux sous le drapeau des Nations Unies savons que le racisme ne sera pas éradiqué du jour au lendemain. Néanmoins, nous nous engageons individuellement et collectivement à contribuer efficacement à la réalisation d’un monde égal et juste où les manifestations brutales et flagrantes de racisme envers les noirs sont éliminées.
Nous entreprendrons ce combat, en commençant par notre lieu de travail, les Nations Unies. À cet effet, nous sommes encouragés par le leadership et la vision du Secrétaire général António Guterres. Notre lutte continue.
Winnie Byanyima,
Secrétaire générale adjointe des Nations Unies Directrice exécutive de l’ONUSIDA et coprésidente de l’UNSAG