26 août 2024
Les morts imputables à la violence des islamistes militants ont augmenté de presque 60 % depuis 2021. Cette violence se distingue cependant par de grandes différences notamment entre les acteurs, leurs objectifs, et les tendances régionales de la menace.
Points forts
En Afrique, la menace des groupes islamistes militants n’a cessé de croitre depuis 10 ans. En effet, le nombre annuel d’événements violents a presque triplé depuis 2014 (pour atteindre environ 6 700). Les 21 780 morts signalées représentent quant à elles une augmentation de 56 % par rapport à 2021.
Mais ces grandes lignes masquent de variations importantes observées, à la fois entre et au sein de chaque région pendant cette période. Cela met en relief les caractéristiques locales distinctes, notamment les dirigeants et les structures organisationnelles, les réponses communautaires et gouvernementales et les acteurs externes, qui sont les moteurs de cette violence.
Les 11 200 morts au Sahel en 2024, le triple de 2021, représentent aujourd’hui plus de la moitié des morts signalées en Afrique.
Il y a dix ans, le bassin du lac Tchad était le foyer le plus important de la menace de la violence islamiste. En effet 13 670 morts y avaient été signalées, soit 67 % des morts signalées en Afrique. L’Afrique du Nord était deuxième, avec 3 650 morts. Comparé à ce point culminant, le nombre annuel de morts dans le bassin du lac Tchad a aujourd’hui été diminué par presque quatre, même s’il demeure supérieur à 3 600 morts. Parallèlement, l’Afrique du Nord a subi cette année le plus petit nombre de morts des cinq théâtres actifs en Afrique.
Il y a dix ans, le Sahel était la région où le nombre de morts liées à l’extrémisme violent était le moindre. Aujourd’hui, c’est la région qui en subi le plus, et ce depuis trois ans. Les 11 200 morts enregistrées au Sahel en 2024, le triple de 2021, constituent aujourd’hui plus de la moitié des morts enregistrées en Afrique. Ce nombre n’inclut pas les 2 430 morts imputables aux militaires sahéliens et aux forces russes, prétendument au nom de la lutte contre l’extrémisme violent, un nombre plus important que celui des civils tués par les groupes islamistes militants dans la région.
Au cours des dix dernières années, la Somalie a sans doute fait face à la menace des extrémistes violents la plus durablement sérieuse en Afrique. En effet, elle a régulièrement subi un niveau élevé, si ce n’est le plus élevé, d’événements violents et de morts imputables aux islamistes militants. Aujourd’hui, le Sahel et la Somalie représentent plus de 80% des morts attribuables aux extrémistes violents en Afrique.
Il y a dix ans, la Somalie et le Sahel rejoignaient le bassin du lac Tchad et l’Afrique du Nord pour composer les quatre théâtres de violence des islamistes militants. Une cinquième région est venue s’y ajouter à la fin 2017, le nord du Mozambique, mettant en relief le fait que l’extrémisme violent se focalise dans des régions particulières et ne constitue pas une menace uniforme à travers le continent.
Ces fluctuations importantes aux cours des dix dernières années soulignent comment les dynamiques peuvent changer dans chacun de ces théâtres. Alors même que les groupes islamistes militants démontrent une adaptabilité et une résilience remarquables, des progrès peuvent toutefois être accomplis. Cela réaffirme l’importance de bien comprendre les moteurs uniques et les réponses spécifiques à chaque contexte qui doivent y être soutenues.
Sahel
Plus de la moitié des morts signalées (11 200) et liées aux groupes islamistes militants en Afrique se sont produites au Sahel. Depuis 2021, plus de morts ont été signalées au Sahel que dans toute autre région du continent.
Au Sahel, le Burkina Faso a subi la majorité des événements violents (48 %) et des morts (62%) imputables aux groupes islamistes militants.
Le Sahel subi aussi un nombre croissant d’attaques contre les civils. Au cours des trois dernières années, plus de la moitié des attaques des groupes islamistes militants d’Afrique se sont produites au Sahel.
Le niveau de violence au Sahel est probablement encore plus élevé. Depuis les putschs au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (deux en 2022) et au Niger (2023), un effort concerté a été déployé pour museler la presse locale et internationale. Par conséquent, l’accès aux informations précises sur les événements violents dans la région ne cesse de diminuer.
Parallèlement, la violence contre les civils perpétrée par les forces de sécurité des juntes et de leurs partenaires paramilitaires (y compris l’Africa Corps, anciennement le Groupe Wagner, de la Russie) a aussi augmenté. Le nombre d’attaques contre les civils commises par ces acteurs sécuritaires a augmenté de 76 % entre 2022 et 2024 (d’environ 230 à 400 attaques). Au cours des trois dernières années, environ 4 740 personnes ont été tuées par ces forces. La violence des forces de sécurité contre les civils s’avère systématiquement être un moteur de recrutement des groupes extrémistes violents.
Cette année, les juntes militaires sahéliennes et les milices qui leurs sont alliées ont tué plus de civils (2 430) que les groupes islamistes militants (2 050).
L’augmentation du nombre d’attaques des extrémistes violents dans les régions du sud du Mali et du Burkina Faso constitue une preuve tangible supplémentaire de la détérioration de la situation sécuritaire au Sahel. La contagion de cette escalade dans les pays sahéliens est ressentie dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest où plus de 500 événements violents se sont produits ces 12 derniers mois au sein de et dans un rayon de 50 km de leurs frontières. À titre de comparaison, seulement 50 événements de cette sorte s’étaient produits en 2020. En 2024, les attaques des extrémistes violents perpétrées au Bénin et au Togo ont représenté 7% des événements dans ce théâtre.
Cette année, les juntes militaires sahéliennes et les milices qui leurs sont alliées ont tué plus de civils (2 430) que les groupes islamistes militants (2 050).
Les embuscades contre les forces de sécurité sahéliennes ont aussi augmenté ces dernières années. En 2021, 10 attaques d’extrémistes violents entrainant la mort de 10 ou plus soldats des armées sahéliennes avaient été signalées. D’ici la fin 2024, ce nombre devrait atteindre 50 attaques.
Embuscades des groupes islamistes militants contre les forces de sécurité du Sahel en 2021,2022, 2023,2024 :
Au Mali :5 ;5 ;12 ;10. Au Burkina Faso :3 ;11 ;21 ; 36. Au Niger : 2 ;0 ; 0 ;4. Soit au Total cumulé :10 ;16 ;33 ;50
On estime aujourd’hui que 60 % du territoire de Burkina Faso échappe au contrôle de l’armée. Au Mali, ce nombre est de 50 %, des parties du centre et du sud du Mali étant tombées hors du contrôle de l’État ces dernières années. En 2021, selon les estimations, seulement 40 % du territoire de chacun de ces pays n’était pas contrôlé par l’État. Au Burkina Faso, jusqu’à 75 villes sont assiégées par des groupes islamistes militants, empêchant leurs habitants d’avoir accès aux denrées essentielles.
En raison de l’instabilité grandissante, le nombre de personnes déplacées de force continue aussi d’augmenter, pour atteindre environ trois millions de Burkinabè.
Somalie
La Somalie est le théâtre où l’activité des groupes islamistes militants est la plus durable puisqu’elle y persiste depuis trois décennies. Aujourd’hui, environ un tiers des morts imputables aux islamistes militants en Afrique se produisent en Somalie, faisant du pays le deuxième théâtre le plus actif d’Afrique (après le Sahel). Elle détient cette deuxième place depuis trois ans.
Les morts recensées en Somalie ces dernières années s’approchent d’un niveau record pour ce théâtre. Les 6 590 morts enregistrées en 2024 sont le double de 2020.
Ce pic de morts est largement attribuable à l’offensive lancée par le gouvernement du président Hassan Sheikh Mohamud en 2022 et aux contre-attaques d’al Shabaab qui s’en sont suivies. Ces batailles ont cependant diminué cette année depuis leur apogée.
Quasiment tous les événements et les morts signalés dans ce théâtre sont imputables à al Shabaab. L’État islamique en Somalie (ISS) représente moins de 1% de l’activité des islamistes militants en Somalie et au Kenya voisin.
Ces dernières années en Somalie, une évolution notable est l’usage croissant de drones et d’attentats suicide (c’est à dire de la violence à distance) puisque 640 événements de cette nature s’y sont produits cette année.
Les morts liées à l’usage par al Shabaab de la violence à distance (y compris 17 attentats suicide) ont plus que doublé depuis 2020 pour atteindre 1 950 morts.
- Ce théâtre a également vu un doublement dans le nombre d’événements violents attribuables à al Shabaab au Kenya (pour atteindre 110 événements et plus de 250 morts). La plupart de ces événements se sont produits dans des régions frontalières. Si ces événements ne représentent que 5 % des événements violents dans ce théâtre, ils rappellent néanmoins la menace qu’al Shabaab pose pour toute la région.
Bassin du lac Tchad
La violence des islamistes militants dans le bassin du Lac Tchad (qui s’étend du nord-est du Nigeria aux régions frontalières du Cameroun, du Niger et du Tchad) a connu des hauts et de bas au cours de la dernière décennie. La région a subi une recrudescence des événements depuis deux ans. Cependant, le nombre annuel de morts imputables à ces événements est resté relativement stable, autour de 3 500 à 3 800 morts. Cela rend le bassin du lac Tchad le troisième théâtre le plus meurtrier d’Afrique puisque 17 % des morts imputables à la violence des islamistes sur le continent s’y produisent
La persistance de la menace de l’extrémisme violent dans le bassin du lac Tchad témoigne de la résilience et de l’adaptabilité de Boko Haram et de sa ramification, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWA). Un troisième group, Ansaru, n’est responsable que de 1% des événements violents et morts signalés dans ce théâtre.
Un développement notable dans ce théâtre est l’expansion géographique de la violence des islamistes militants au Cameroun. Cette année, pour la première fois, plus de 50 % des événements attribuables aux militants islamistes dans ce théâtre s’y sont produits. Les 720 événements violents signalés ont triplé depuis 2022 et les morts dénombrées au Cameroun (780) ont doublé sur cette période.
Si le Nigeria continue de subir la grande majorité des morts imputables aux islamistes militants (72 %), les morts recensées au Cameroun représentent maintenant 21 % des morts dans ce théâtre
Un pic de morts imputables aux islamistes militants s’est aussi produit au Tchad (où 180 morts devraient survenir d’ici la fin 2024), ceci après un fort déclin les années précédentes.
Ce redéploiement des pressions géographiques pourrait affecter les besoins de sécurité régionale dans la région.
La violence contre les civils et la violence à distance a également augmenté ces dernières années. La violence contre les civils a constitué 41 % des événements dans la région, un pourcentage plus élevé que dans toute autre région. Par rapport à 2022, le nombre d’attaques ciblant les civils a doublé pour atteindre 590 événements. Ces attaques contre les civils révèlent le manque de soutien populaire pour Boko Haram et l’ISWA, ainsi que leur disposition à utiliser la violence pour intimider les populations locales.
L’augmentation des attaques contre les civils se produit alors même que le gouvernement nigérian a réalisé des gains importants contre les extrémistes. En effet, quelques 5 630 islamistes militants se sont rendus au forces de sécurité nigérianes en 2024, s’ajoutant aux dizaines de milliers qui se sont rendus après que le gouvernement a commencé un programme d’amnistie pour les combattants en 2016.
La violence contre les civils a constitué 41 % des événements dans la région, un pourcentage plus élevé que dans toute autre région.
La lutte contre les extrémistes violents dans la région Nord-Est du Nigeria se produit parallèlement à la menace grandissante de bandes criminelles organisées dans la région du Nord-Ouest. Communément appelés « bandits », ces groupes ont entrepris pillages, extorsions et des enlèvements contre rançon pour leurs propres bénéfices financiers. De fait, la violence des gangs armés dans le Nord-Ouest a tué entre 2018 et 2023 plus de civils que Boko Haram et l’ISWA.
La persistance de la menace de ces gangs organisés augmente le risque qu’ils coopèrent avec les groupes islamistes militants dans le Nord-Est ou avec les groupes islamistes violents qui continuent de pousser vers le sud du Niger depuis le théâtre sahélien. Une telle convergence pourrait considérablement amplifier les défis sécuritaires dans les deux théâtres.
Mozambique
La violence des acteurs islamistes violents a considérablement varié depuis leur émergence en 2017. Après avoir augmenté rapidement jusqu’à 2021, quand 2 080 morts liées aux activités des extrémistes violents avaient été enregistrées, le nord du Mozambique a vu le nombre de morts diminuer quasiment par six sur les trois années suivantes. Ce déclin est attribuable à l’arrivée des forces de la SADC et du Rwanda en juillet 2021.
Le nombre d’événements et de morts attribuables aux islamistes militants a cependant connu une recrudescence cette année. Comparé à l’année précédente, les 250 événements projetés et les 460 morts qui leur seraient associées d’ici la fin 2024 représenteraient un quasi doublement de la violence. Cela met en relief la résilience de ces groupes islamistes militants qui se sont rabattus vers l’intérieur des terres après s’être précédemment concentrés sur la côte. Cela souligne aussi l’importance d’une présence sécuritaire et étatique soutenue afin d’assurer que ces menaces soient durablement gérées.
Comparé à l’année précédente, les 250 événements projetés et les 460 morts qui leur seraient associés d’ici la fin 2024 représenteraient un quasi doublement de la violence. Cela met en relief la résilience de ces groupes islamistes militants.
Si la SADC a officiellement fermé sa mission en juillet 2024, des soldats du Rwanda, de l’Afrique du Sud et de la Tanzanie restent sur place pour aider aux efforts de stabilisation dans la région.
Afrique du Nord
Le théâtre d’Afrique du Nord a vu le nombre d’événements et de morts imputables aux extrémistes violents diminuer constamment depuis 2015 quand la région avait subi 3 650 morts liées à ces événements. Une nouvelle diminution spectaculaire a rabaissé le nombre total de ces morts à moins de 10.
Pour la première fois depuis 2010, aucun évènement violent imputable aux groupes islamistes militants ne s’est produit en Égypte cette année.
Les cinq événements signalés au cours des 12 derniers mois, quatre en Algérie et un seul en Libye, étaient en fait des opérations militaires ciblant des membres d’Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) et l’État islamique en Libye (ESL). Ce déclin constant de la violence témoigne d’une combinaison de facteurs, notamment la pression continue de l’Égypte, de l’Algérie et de la Tunisie, et du manque de soutien populaire pour les extrémistes.
En Libye, les Nations unies estiment que l’ESL et al Qaeda disposent encore de combattants dans le sud du pays, mais ils semblent être focalisés sur comment tirer parti de l’économie illicite. Cette menace durable souligne l’importance d’une vigilance continue dans la région.
Source: Le Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique.
Source Photo: NiameyInfos